Sous les regards des héros
Les sans-abris de Champ de Mars laissés sans espoir
Partie 2 de 2
Port-au-Prince, 9 juin 2011 – Après la catastrophe, les agences internationaux opérant dans le secteur des abris se manifestent beaucoup plus en Haïti.
Selon les informations recueilles par Ayiti Kale Je (AKJ) et la Laboratoire du Journalisme des procès verbaux de réunions de travail et autres document du "Cluster Logement" – qui regroupe toutes les agences et organisations œuvrant dans le secteur – les zones touchées par le séisme sont subdivisé en plusieurs zones. A Port-au-Prince 18 agences et organisations travaillent dans ce domaine.
Une graphique du "Cluster Logement" montrant où travaillent les organisations - construisant des "T-Shelters" ou dans les réparations. Aucune travaillent dans le centre-ville de Port-au-Prince.
Ces dernières disent projeter de construire 26,594 abris provisoires, de réhabiliter 2,174 maisons et de construire 155 abris permanents in Port-au-Prince. Mais cela est loin d'être suffisant. Selon un rapport de l’Organisation Internationale de la Migration (OIM) datant de mars, 47,059 familles vivant dans des camps de Port-au-Prince sont en attente de logement.
Malgré les planifications et une prétendue division de taches au sein des organisations humanitaires et le gouvernement, aussi paradoxal que cela puisse paraitre, aucune agence du secteur logement n’opère dans le camp du Champ de Mars.
L’un des facteurs pouvant expliquer ce fait est que la localisation des agences dans des zones déterminées n’est pas le résultat d’une répartition de tâches ou d’une coordination assurée par une instance suprême. Il n'y a pas de « ministre au Logement », de plus pendant des mois, les réunions nationales du Cluster Logement n’ont bénéficié de la présence d’aucun représentant gouvernemental. Le coordonateur du Cluster, pour sa part, ne peut que suggérer la zone d'intervention d'une agence.
La Commission Intérimaire pour la Reconstruction d’Haïti (CIRH), chargée d’assurer le relèvement d’Haïti après le 12 janvier 2010, serait une instance appelée à diriger les interventions dans ce domaine. Selon la loi qui l’a créée elle a des objectifs comme « d’assurer la planification stratégique, la coordination et la mise en œuvre de ressources provenant des bailleurs bilatéraux et multilatéraux, des organisations non gouvernementales et du secteur des affaires… » mais au moins au Champ de Mars elle n’a pas délivré la marchandise.
D’après Emmanuel Gay de l’OIM, instance responsable de la coordination des acteurs humanitaires dans les camps, son organisation n’intervient dans le secteur du logement qu’après de graves intempéries ou dans d’autres situations catastrophiques.
« Aussitôt que le besoin se fait sentir on fait appel à nous et nous répondons surtout à des situations de crise, par exemple en période pluvieuse, nous aidons les personnes les plus vulnérables en leur permettant de sécuriser leurs abris, » a-t-il expliqué à AKJ.
Gay avance en outre que l’OIM envisage de travailler sur un « plan de retour pour les sinistrés » mais a confié « on n’en est pas encore là. » Difficile de comprendre ce qui retarde à ce point l’exécution d’un supposé plan de retour pour des sans abris qui ont déjà vécu près de 17 mois dans des conditions si avilissantes.
Le représentant de l'OIM a également fait allusion à l'une des raisons possibles de ce retard:
« Je crois qu’il y a un projet gouvernemental de construction de logements sociaux au Fort National auquel plusieurs des sans abris [de Champ de Mars] sont souscrits mais je ne dispose pas de beaucoup de détails dessus. »
Peut-être ce projet est la raison pour laquelle aucun organisation travaille sur la question au Champ de Mars ?
Le projet fantôme de Fort National
En effet, Gay faisait allusion à un projet de logements sociaux que le gouvernement a tenté de lancer le 12 janvier 2011. Cependant, le ministre des Affaires Sociales Gérald Germain a été accueilli à coups de pierres et de tessons de bouteilles par des citoyens furieux de ce quartier situé à moins d’un kilomètres du palais.
« Nous voulons des explications, nous voulons savoir comment l’Etat compte aider les gens qui, bien avant le 12 janvier, vivaient dans des conditions infrahumaines. C’est inacceptable en plein 21e siècle! » a dit l’un d’eux à l’agence en ligne AlterPresse. [Voir l'histoire ici.]
D’après le ministre sortant de l’Economie et des Finances, Ronald Baudin, le projet avance mais il n’est pas encore au stade d’exécution.
« Une partie du financement est déjà disponible, les plans sont faits… les maquettes ont déjà été produites. Il ne reste qu’à libérer les sites pour entamer les travaux qui doivent permettre la réalisation de ce projet immobilier », a-t-il dit à AKJ.
Notice remis par des responsables gouvernementaux au résidents le 12 janvier 2011.
Par contre, à en croire une autorité de la CIRH, le projet n’est pas certain. Priscilla Phelps, la Conseillère Principale pour le Logement et les Quartiers au sein de la CIRH s’est exprimée dans un article d’ AlterPresse le 12 janvier 2011:
« Il reste beaucoup de questions à clarifier… Le projet doit être passé au crible. Il est assez cher. »
Questionné plus récemment, Jean-Christophe Adrian, Coordonateur des Programmes en Haïti pour UN-HABITAT qui dirige actuellement le Cluster Logement, dit la même chose. D’après lui, le projet est dans une véritable impasse.
« Je ne suis au courant d’aucun progrès, » a-t-il lâché à AKJ.
Adrian se souvient pourtant des rencontres qui avaient lieu presque tous les jours au Palais National sur des planifications visant l’évacuation du Champ de Mars et un retour des sinistrés dans leurs quartiers d’origine.
« C’était une initiative du Président Préval, » reconnait-il et selon lui les agences étaient très enthousiastes pour la réussite de ce projet pilote et se sont accordées sur le fait que « la seule solution est de permettre les gens retourner a leurs quartiers. »
Cependant les rencontres et les discussions ont soudainement été interrompues.
« Bon, on n’a pas toute l’information mais, en fait … d’après ce que j’ai pu comprendre, la décision qui été prise était celle de faire un grande opération sur Fort National, » s’est rappelé Adrian.
A l’instar de Phelps, Adrian ne pense pas que de grands projets de logements sociaux soient la meilleure solution. L’une des raisons est que, historiquement, c’est souvent la seule classe moyenne qui en bénéficie.
Ayiti Kale Je s’est tourné vers le maire de Port-au-Prince Muscadin Jean Yves Jason à qui il a été demandé des informations sur les interventions en faveur des réfugiés du Champ de Mars qui sont, après tout, des résidents de sa commune.
Selon ses révélations la mairie n’a jamais été impliquée dans le projet de Fort National.
« C’était une position en faveur de la plateforme présidentielle Inite en vue de courtiser l’électorat du Bel Air » a revendique le maire dans une entrevue réalisée par courrier électronique.
En outre, Jason informe avoir tenté de libérer quelques places le 12 mai dernier soit deux jours avant l’investiture du nouveau chef d’état, mais sans succès, regrette-t-il. Il indique également avoir sa propre proposition sur l’établissement de logements sociaux à Morne à Cabrit, montagne sèche située au nord est de la capitale. Ce projet pilote destiné à 6 000 familles est évalué à $76,065,000 dollars US (US$12,677.50 par famille), il à dit.
Le nouveau président, Michel Martelly, récemment a fait circuler un document intitulé « Fermeture de six camps prioritaires au travers du lancement de la reconstruction définitive . » Les camps du Champ de Mars ne figurait pas parmi ces six camps dits « prioritaires ».
Credit: Timo Luege, UN Inter-Agency Standing Committee.
Personne ne peut prétendre avoir la vérité sur le nombre de temps qu’auront passé ces citoyens dans cette situation à peine descriptible. Mais une vérité n’échappe à personne : si un héro est quelqu’un qui « se distingue par ses actions » ou « qui tient le rôle principal dans une histoire, » comme les dictionnaires disent, plusieurs acteurs – dont des ONG, des agences des Nations Unies, les maires, des ministres et la CIRH entre autres – agissent de manière presque contraire aux yeux des occupants du camp du Champ de Mars.
Peut-être les sans-abris sont les vrais héros. Chaque jour ils luttent pour leur survie contre les pluies, le choléra, le manque de toilettes, maisons, écoles, emplois et peut-être même de l’espoir.
Un journaliste a été attaqué et dévalisé au cours du reportage
Les étudiants du Laboratoire de Journalisme de la Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'Etat d’Haïti ont collaboré à cette série.
Ayiti Kale Je est une partenariat de AlterPresse, la Société pour l’Animation de la Communication Sociale (SAKS), le Réseau des Femmes Animatrices des Radios Communautaires Haïtiennes (REFRAKA) et les radios communautaires de l’Association des Médias Communautaires Haïtiens (AMEKA).