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« On transite vers quoi? »

Partie 2 de 3

Publié 23-août-2011

Trafic d’abris provisoires

En plus du problème foncier, les agences sont actuellement confrontées à la corruption dans la distribution de T-Shelter. Durant sont enquête, Ayiti Kale Je (AKJ)  a rencontré des réfugiés et des personnalités dénonçant ce trafic.

Par ailleurs, même les agences et les organismes humanitaires l’ont reconnu.

« Certains bénéficiaires louent ou sous-louent leur T-Shelter ou les vendent en pièces détachées. Il existe un réel marché du T-Shelter », soutenait Handicap International  dans un compte-rendu de la réunion du Shelter Cluster tenue le 31 mai 2011, à Petit-Goâve.

Le maire de Petit Goâve, Marc Roland Justal, le confirme et déclare être au courant de plusieurs cas.

« Il s’agit d’une entente. Une fois en place, l’abri est démoli »,  confie M. Justal dans une entrevue.

« [Comme ils sont] faits de contreplaqués, le gens les revendent ou les louent pour la construction »,  explique-t-il.

L’utilité du T- Shelter ne fait pas l’unanimité...

Les autorités locales et certains représentants d’agences humanitaires sont divisés sur la question de l’utilité des T-Shelter.

Jean-Christophe Adrian, directeur d’ONU-Habitat, l’organe de l’ONU responsable des campements, est très critique face à la distribution des T-Shelter comme solution au problème de logement actuel.

« Pourquoi investir des ressources dans des abris transitoires, alors que le même argent pourrait être donné aux gens pour reconstruire et serait investi dans l’avenir ? » Les journalistes d’Ayiti Kale Je (AKJ) ont rencontré une victime typique sur le terrain.

François Delouis vit sous une tente au parc Sentra à Grand Goâve depuis le 12 janvier 2010. Il survit avec de l’argent qu'on lui envoie de New York et de son travail comme journalier au marché. De temps en temps, il met 5 $ ou 10 $US de côté pour la réparation de sa maison, mais c’est tout.

« Ma maison est située en bas », dit-il, gesticulant.

« Elle a besoin de réparations. Une autre maison s’est écroulée dessus, j´y ai perdu un enfant! Je ne peux [payer pour] réparer la maison. Si je pouvais, je le ferai », déplore-t-il.

François Delouis devant sont abri.

Il est difficile de trouver les chiffres exacts, mais les documents qu’a consultés AKJ démontrent qu’il y a au moins 200 M$ US et peut-être 300 M$ US au total est disponible pour la construction des 116 000 T-Shelter dans les principales zones dévastées.

L’automne dernier, dans un témoignage en audience à Washington DC, l'ingénieur en structure spécialisé en séismes et reconstruction, Kit Miyamoto évaluait que plusieurs victimes du séisme, soit environ 120 000 familles, pouvaient réparer leur maison à un coût moindre que le prix d’un T-Shelter.

« Dans la plupart des cas, ces maisons peuvent être réparées en moins de trois jours pour 1000 $ à 1500 $ », affirmait-il lors d’une rencontre de l’Organisation des États Américains, le 27 octobre. « Les chiffres se tiennent. »

Mais selon Priscilla Phelps, conseillère sénior à l’Appui à la reconstruction des logements et des quartiers, du CIRH, et co-auteure de Safer Homes, Stronger Communities, ce qu’affirme Miyamoto n’est pas tout à fait exact.

« Ça semble vrai à prime abord, mais dans les faits, il y a de sérieuses limites à la possibilité de réparer les maisons en Haïti, en termes de disponibilité des entrepreneurs formés et, dans une moindre mesure, de matériaux décents. Ce sont des limites qui peuvent et devraient être abordées, mais elles sont réelles », explique-t-elle dans une entrevue électronique accordée à AKJ.

En revanche, elle a noté, qu’il est plus facile pour les agences de construire des T-Shelters parce que la question foncière peut être truquée, ou même évitée si les agences peuvent obtenir du terrain pour un camp semi-permanent.

Jean-Christophe Adrian le soutient : « Il y a de l’argent pour les abris... le problème c’est que cet argent ne peut être utilisé pour reconstruire du définitif parce que les mécanismes de financement sont des mécanismes d’urgence qui ne permettent pas de construire du définitif ».

Plusieurs des agences qui construisent les T-Shelters avaient aussi des budgets pour réparer et reconstruire des maisons. Mais les chiffres nous révèlent où la priorité a été accordée.

Sources: Shelter Cluster et CIRH

Dans son entrevue électronique avec AKJ, Phelps a regretté :

« On prétend souvent que les sources de financement des T-Shelters  sont différentes de celles des habitations permanentes (les premières étant humanitaires, les deuxièmes pour le développement)… mais en ces temps de budgets publics restreints mondialement, il est difficile de croire que les grands fonds investis en T-Shelters n’ont pas affecté ce qui reste de disponible pour les habitations permanentes. »

Presque 18 mois après le séisme, la période d’urgence perdure…

A l’approche de l’échéance des 18 mois écoulés depuis le séisme, et malgré le fait que la phase d’« urgence » soit prétendument finie, les agences continuent à construire des T-Shelters. Certains, comme Action Aid, à Mariani au sud de la capitale, lancent encore de nouveaux projets de T-Shelters.

On a construit près de 90 000 T-Shelters, et 26 000 autres seront bientôt complétés.

Cependant, il reste plus de 634 000 réfugiés sous les tentes dans des camps. La quantité de T-Shelters prévue s’avère insuffisante par rapport aux besoins de la population déplacée, et les travailleurs humanitaires ne le nient pas.

« Il n’y a pas assez d’abris provisoires pour répondre aux besoins », souligne-t-on dans le procès-verbal d’une réunion du Shelter Cluster, tenue le 24 mai 2011 à Port-au-Prince.

Mais l'argent pour les T-Shelters est épuisé, et même si les fonctionnaires Shelter Cluster, comme Catherine Lefebvre, l'ancien responsable du Cluster pour la zone du Petit et Grand-Goâve et le Sud-Est, ont encouragé les partenaires « à travailler sur le long terme », de nombreuses agences sont en train de boucler ses programmes, pliant leurs bagages, et rentrer à la maison.

En effet, le Cluster lui-même – chargé de coordonner tous les différents acteurs travaillant sur les questions de logement – est aussi sur le point de fermer.

« Le Shelter Cluster ne sera plus présent dans les régions en raison d’un manque de financement. On ne sait pas quand il fermera au juste et quelle agence prendra la relève », écrivait-elle à AJK le 8 août.

Fin de la partie 2

 

Lisez partie 3 - Qui est responsable et au-delà de la transition

Lisez « Le manque d’argent, ce n’est rien… »

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