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Derrière l’épidémie du choléra - le problème de l'eau

Haïti est « riche » en eau, selon une étude réalisée par l’armée américaine en 1999.

Carte montrant les réserves d'eau souterraines. U.S. Army Water Resources
Assessment of Haiti report.

Selon les américains cette étude a eu pour but de « donner à Haïti et aux militaires américains les informations nécessaires pour planifier différents exercices militaires et humanitaires en Haïti ».

(C’est possible, mais c’est peut-être aussi dans le but de permettre au voisin d’Haïti de savoir la quantité d’eau que le pays possède et ou. Parce que suivant plusieurs rapports, comme ce reportage de CBS, bientôt les Etats-Unis auront à faire face a une grande crise de l’eau. L’américain est de tous les citoyens sur terre le plus grand consommateur d’eau. Chaque personne utilise à peu près 150 gallons par jour, soit 567 litres d’eau. En Angleterre chaque habitant utilise environ 40 gallons par jour. Dans les pays pauvres comme le Kenya ou Haïti, chaque personne utilise moins de 13 gallons, ce qui représente le minimum nécessaire pour l’entretien de la santé.  Aux Etats-Unis, 36 des 50 Etats auront une grande crise de l’eau durant les 3 prochaines années.)

Haïti ne connait pas de crise de l’eau, mais cette ressource est en danger à cause de la dégradation de l’environnement, du manque de contrôle dans les zones abritant des sources, de la contamination par les usines, l’agriculture, les déchets animaux et humains. Et aussi à cause du fait que le pays a une mauvaise gestion et distribution de l’eau.

De plus, tout le monde n’a pas un accès égal.

Bien que les estimations varient, environ 40 à 49 pour cent des Haïtiens sont censé avoir accès à de l'eau « amélioré », même si une étude réalisée en 2005 par FOKAL a montré que 65 pour cent des Haïtiens rurales utilisent les rivières.

FOKAL, Étude sur l’approvisionnement en eau potable en Haïti : Etat des lieux, propension à payer, mode de gestion et possibilités d’appropriation des systèmes d’adduction d’eau potable par les usagers, 2005

Aujourd’hui, selon la DINEPA, qui une nouvelle agence gouvernementale responsable de l’eau et de l’assainissement, 70% de la capitale a une couverture en eau via des branchements privés ou des fontaines publiques.

L’approvisionnement des habitants de Port-au-Prince en eau remonte à bientôt 200 ans, en 1841, avec une série de robinets collectifs, qu’on appelle des « standpipe » en anglais. A partir de 1878, les habitations des mieux nantis étaient équipées de robinets et de lavabos. Le reste de la population s’approvisionnait dans les robinets collectifs ou en achetant l’eau par sceau auprès des vendeuses ambulantes. En 1916, durant l’occupation américaine, le système d’adduction d’eau de la capitale rivalisait avec celui de n’importe quel pays sur terre, selon l’écrivain Simon Fass.

Dans le livre « The political Economy of Haiti »(L’Economie Politique d’Haïti), Fass indique que: « 3 500 familles, soit un tiers de la population, avaient un branchement direct au système de distribution »

Que s’est-il passé ?


En fait, le système de distribution d’eau du gouvernement n’a pas évolué en fonction de la croissance de la capitale. Elle n’a pas freiné les branchements illégaux. Elle n’a pas géré une privatisation qui a été réalisée par quelques riches au détriment des plus démunis.

Fass rapporte en autres le phénomène de « riches consommateurs » qui  dans les années 1970 « ont établi des branchements illégaux  a partir des conduites principales partout ou cela était possible », provoquant ainsi le « délabrement du système ».

Bon nombre de ces consommateurs avaient- et ont encore aujourd’hui- des pompes chez eux. Durant les jours ou la CAMEP délivre l’eau dans le système, ces consommateurs aspirent le maximum d’eau avec les pompes et la stockent dans leurs réservoirs. Aussi les autres abonnés et ceux qui vont à la fontaine publique ne reçoivent pas ce qu’ils devraient.

Une étude de l'ONU réalisée en 1976, et dans laquelle Fass a participé, a montré que la CAMEP produisait environ 64 millions de litres par jour, mais a perdu près de la moitié - 30 millions de litres - dans les vols, les fuites et le gaspillage.

L'étude a également montré que « l'industrie de l'eau » dans la capitale était une grande entreprise. Les Tontons Macoutes et leurs sbires contrôlaient l'accès aux fontaines et bornes-fontaines, de manière à contrôler et faire monter les prix. Les entreprises de camionnage de l'eau - non réglementée par l'Etat – ont également fait de jolis profits.

« Selon nous, au [Centre des Nations Unies pour l'habitat, le bâtiment et la planification] UNCHBP, la distribution d'eau n'était pas un service public au sens étroit du terme, mais plutôt une importante industrie privée produisant 3,78 millions de dollars en valeur ajoutée. Environ 26 pour cent de cette somme allaient à 25 camionneurs, 32 pour cent à 2.000 foyers connectés, 25 pour cent à 14.000 porteurs et 17 pour cent à la CAMEP »

À Port-au-Prince, Fass écrit, « relativement peu de fournisseurs qui contrôlaient la technologie et qui avaient un accès privilégie ... ont  amassé les recettes au détriment de la majorité qui n'a pas d’accès, » ce qui signifie qu'il y a eu « un transfert annuel de 1,22 million de dollars américains de 295.000 personnes à faible revenu » à « des ménages de la classe politique ayant un revenu supérieur. »

Le prix de l'eau dans la capitale à cette époque était « peut-être l’un des plus élevés en milieu urbain dans le monde, » note Fass.

« Alphabet Soup », les ONG et une politique qui tue

Dans les années 1980, une série de ministères, organismes et comités dans les villes et la campagne - MTPTC, CAMEP, SNEP, POCHEP, CAEP, URSEP - avait apporté quelques améliorations en termes de distribution et de prix, mais très peu. Le vol, le mauvais entretien, la corruption et le manque d'investissement, combiné avec le manque d'assainissement, ont tous contribué à la dégradation des systèmes, et à la vulnérabilité d'Haïti vis-à-vis du choléra.

Selon des chiffres récents, il y a environ 57.000 ménages dans la capitale qui sont connectés au réseau d'eau, 33.000 sont «actifs» ou paient leur facture. Comme dans les siècles précédents, la distribution de l'eau se fait suivant la classe économique - les riches ont des branchements directs ou achètent des camions-citernes remplis d'eau, les pauvres vont aux fontaines (gratuitement ou moyennant des frais) ou l'achètent auprès de vendeuses ambulantes.

Dans les petites villes, en 2005, le SNEP (Service National d'Eau Potable, qui fait maintenant partie de DINEPA) a fait la gestion, ou une mauvaise gestion, de 28 systèmes. Dans d'autres villes et hameaux, divers comités ont géré pompes, fontaines et citernes construites par les communautés, les organisations non gouvernementales" (ONG) [1] et des particuliers. Que l'eau soit gratuite ou à vendre, le prix peut varier d'un endroit à l'autre, mais ce qui est certain c’est que presque partout, les pauvres paient plus que les riches, car ils achètent souvent par sceau. Il n'y a aucun contrôle sur le prix.

Personne ne contrôle la qualité de l’eau fournie par le secteur privé non plus.

Il y a plus de 20 entreprises de camionnage de l'eau qui fournissent de l'eau
à des camps, des cliniques, des entreprises et des maisons privées dans la région de la capitale.

Ce n’est que la semaine dernière que la DINEPA  a publié une « directive » pour informer toutes les entreprises de camionnage d'eau de la capitale qu’elles doivent chlorer leur eau. [Voir De l'urgence à l'autosuffisance]

Le secteur privé de distribution d'eau est éclipsé par un autre acteur dont la présence a explosé depuis le 12 Janvier  - les ONG. Bien avant le tremblement de terre, des dizaines d'ONG - grandes et petites - ont été impliquées dans le "secteur de l'eau" dans la capitale et dans tout le pays. Beaucoup ont construit des puits et des systèmes qui sont encore en usage aujourd'hui.

Carte des ONG travaillant dans l'eau et / ou d'assainissement, à partir de 2006.
Rouge foncé ONG = plus.
MINUSTAH.

Mais d'autres ont mis en place des systèmes qui sont tombés en ruine dans les deux ou trois ans parce qu'ils étaient inappropriés ou parce que la population locale n’a pas été formée à l'entretien, selon une étude de FOKAL. FOKAL a également ajouté:

Alors se pose la question à savoir : qui est propriétaire du réseau? Qui en est responsable? Le plus souvent la réponse théorique est que le système appartient à « la communauté » alors que cette notion de communauté n'est pas définie, de même que celles de responsabilité et d'appropriation. Un proverbe haïtien traduit bien cet état de fait: Bèf ki gen anpil mèt mouri nan poto - La vache avec de nombreux propriétaires peuvent mourir attaché au poteau.

«Il y a tellement d'ONG dans le pays», a expliqué le Dr Maxi Raymondville de Zanmi Lasanté / Partners in Health, qui travaille au centre de traitement du choléra à Mirebalais. «Mes collègues appellent certaines de leurs interventions« folkloriques ».

Partout dans le pays, les communautés, les villes et les régions sont impliquées dans les accords bilatéraux avec des ONG étrangères – ou «projets» - qui pourraient fournir un soulagement à court et même à moyen terme à la pénurie d'eau ou d'autres questions, mais le travail est souvent non coordonné avec l'Etat ou même entre elles.

"Nous avons besoin d'un Etat fort, et même un code de déontologie de l'État, de les orienter afin qu'elles coordonnent leur travail," dit Raymondville Ayiti Kale Je.

La question des ONG est liée à une autre raison qui va au delà du système d'eau médiocre d'Haïti: les gouvernements successifs ont été de plus en plus tributaires de l'aide étrangère - les prêts et subventions - ce qui signifie qu'ils sont également soumis aux caprices des «donateurs».

Par exemple, un accord de 54 millions de dollars de prêts avec la Banque interaméricaine de développement (BID), signé en 1998, n'est pas entré en action jusqu'en 2009 parce que Washington et d'autres donateurs ont décidé de "ralentir" l'ensemble des aides du gouvernement pour faire pression sur le gouvernement de Jean- Bertrand Aristide. Le prêt aurait réhabilité et agrandi les systèmes d'eau dans deux des plus grandes villes d'Haïti.

Un rapport de 2005, Woch Nan Solèy, a montré clairement comment les intérêts politiques de Washington ont piétiné tout souci pour la santé publique dans le pays.

Wòch nan Solèy est disponible en anglais, en français et en créole.
Télécharger la version française. Télécharger la version creole.

 Le Dr. Paul Farmer, qui ont collaboré à ce rapport, écrit – avec des collègues – sur le sujet dans la revue The Lancet (connexion nécessaire, mais l'article est gratuit) plus tôt ce mois-ci:

Certains ont soutenu que ces politiques punitives sont l'apanage des pays donateurs, mais bloquer l'accès au crédit de la plus grande banque de développement de la région, un bailleur de fonds qui soutien des travaux publics dans toute l'Amérique latine, ne devrait pas être  l'apanage des Etats-Unis ni de n’importe quel autre gouvernement.

Ainsi, les origines de la problématique de l'eau en Haïti sont nombreuses:

enracinées dans les gouvernements qui ont favorisé les riches,

influencées par le fait que l'eau était considérée comme une «industrie» plutôt qu’un « service public ou un « bien public »,

le fait que le pays a eu des gouvernements inaptes ou irresponsables,

et que ces gouvernements ont été dépendants de l’aide étrangère.


Lire – Les Excréments

Lire –
De l’urgence à l’autosuffisance?

Retour à l’introduction et à la vidéo

 

Notes:

1. Ce terme est impropre puisqu’il définit les organisation par la négative, et parce que plusieurs des très grandes ONG reçoivent une bonne part, sinon la totalité, de leur financement de sources gouvernementales.

 

Références:

Fass, Simon, Political Economy in Haiti – The Drama of Survival, Burnswick, NJ: Transaction Publishers. 1988.

Fondation Connaissance et Liberté (FOKAL), Étude sur l’approvisionnement en eau potable en Haïti : Etat des lieux, propension à payer, mode de gestion et possibilités d’appropriation des systèmes d’adduction d’eau potable par les usagers, 2005